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Oh les beaux jours

Au coeur de cet été, la Maison des Arts Contemporains de Pérouges porte bien son nom fondateur, celui d’un abri de l’intimité et de la rêverie du monde. Les oeuvres qu’elle accueille affichent l’évidence tranquille de ce qui a trouvé sa place. Deux artistes ont disposé là les peintures et les sculptures élues de leur atelier, pour approcher au plus près et au plus simple, ce que ces lieux et leurs visiteurs pouvaient entendre de leurs passions.

 

Les sols et les murs de la bâtisse portent des volumes de plomb et des œuvres de papier couverts de peinture et d’encre, dans un agencement sans fards qui n’égare pas le visiteur dans un dédale d’énigmes. Jamais austère, l’exposition concentre avec gravité toutefois, l’énergie brute des matières et le plaisir de voir se lever un imaginaire dans un guingois d’espaces blancs.  Cette matérialité offerte soutient une construction sobre et tendue par des lignes mélodiques, des contrastes et des chocs de forme, d’un artiste à l’autre, d’un lieu à l’autre.

 

Posées devant nos pas ou dressées aux murs comme si la main du hasard en avait décidé, les sculptures de David Décamp ne dissimulent pas un puit de secrets obscurs. Elles dénoncent. Dans leur vérité nue, les branches lisses et les billots gainés de plomb expriment, au plus simple d’une émotion, le constat brut d’un effondrement à l’oeuvre et l’avenir du pire. Sous la gangue du métal toxique, une agonie de la vie est dite sans détour pour que l’art se lie étroitement à l’essentiel.  L’artiste mobilise la charge symbolique du plomb, présent dans de grandes œuvres du XXe siècle et que les alchimistes du Moyen-Âge associaient à Saturne, la planète froide. Comme gélifié dans une lave noire, le bois vivant est pris sous la matière dense et lourde de ce contaminant élégant, associé aux tragédies et à l’empoisonnement.

   

Pour Benjamin Sozzi, la peinture n’est pas le relai d’une Idée en attente de sa forme, la mise en images d’un grand récit ou même, la résurgence d’un intime travesti sous une forêt de signes. La surface robuste du kraft est particulièrement agile sous une tectonique mise en mouvement par le peintre. Ce papier brut et brun comme le bois, a la qualité précieuse de se déformer sans s’effondrer, sous les arrachements et les flux d’une peinture tour à tour exubérante ou pauvre. Comme s’il conduisait une danse, l’artiste mesure les consentements de la matière à ses audaces, puis, par des gestes précis, libère la forme impossible qui va naitre, au cœur des plis, des blessures et dans le limon des pigments. Les papiers s’assemblent alors dans des géométries imbriquées et fragiles avant de risquer de se défaire encore.

 

L’ordre et le désordre, disait le poète, sont les deux dangers qui menacent le monde. Guerriers de batailles sans fin, ni gagnées ni perdues, les artistes savent sentir ce qui vacille au milieu de la confusion des vérités de l’objet qu’on tient d’une main ferme et de celles des rêves qu’on poursuit, entre un chaos déjà là, la naissance d’un printemps pointant sous la protestation et la puissance des matières têtues. C’est pour cela qu’ils nous sont si proches.

 

La Maison des Arts Contemporains, Pérouges, Juillet 2025

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