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© Georges Rey

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« ... parce qu'elle ne croit qu'aux grands arbres »

9 mars - 15 avril 2023

techniques mixtes sur papier kraft

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Acrylique sur papier kraft 100 x 280 cm

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© Georges Rey

Texte

L’œil infirme

« Alors qu'est-ce que l'imprévu, l'invisible et le surgissement, dans une esthétique de l'impossible fondation marquée par l'errance, la malédiction, les vertiges du temps et de la mémoire ? »

"L'œil qui voit tout est un infirme"

Édouard Glissant, « Conte de ce que fut la Tragédie d’Askia » in Le Monde incréé

Sur des bandes verticales, des lambeaux de papier kraft s’accrochent aux murs comme des écorces et miment des étoffes fragiles soulevées par un souffle. Dans un grand déploiement de stries, la vie prolifère aux marges des colonnes d’un ordre implacable. Sous les déchirures, superpositions et sédiments, le matériau robuste et souple soutient un agencement d’exposition qui assume la précarité et l’indécision de la forme définitive de l’œuvre.

Ici et là, un fragment soulevé par la peinture ou l’adhésif passe devant l’autre et révèle la profondeur d’un plan dédoublé, une trame dissimulée ou le trouble d’un vide sous la rectitude. Les alignements, parallèles dans un assemblage mobile, sont comme ces rails menacés d’oubli par la revanche de l’herbe et l’oxydation du temps. L’exposition est portée par des rayures en longues séquences et aux rythmes déréglés, dans des séries aléatoires, des successions d’accords, des écarts et des accidents harmoniques. Ces rayures qui n’ont ni origine ni destination, ni souche ni ramure, dessinent un système vertical, tendu et illimité. Sous leurs différences, ces répétitions ne font pas ornement ou décorum. Elles dissimulent, sous la force des matières, une présence perdue et tapie dans les intervalles et les interstices.

 

Peut-on, dans ce qui est offert au regard, présenter ce qui se dérobe, convoquer le tout sensible contre le mot et pousser l’inachèvement de l’esquisse pour soutenir un invisible ? Comment argumenter et se déprendre de l’argument interroge autrement le philosophe Jean-François Lyotard ?

 

Benjamin Sozzi investit un espace étroit entre l’incarnation d’un passé qui affleure et l’impossible de sa représentation. Entre la détermination d’une démarche plastique en puissance et l’esquive qui récuse le langage, de quel héritage lointain l’artiste est-il le refuge ? Tout donner pour tout retenir, au bord du sens, quand les rayures se font ratures, quand pèse en permanence la malédiction d’avoir à transformer en mots ce qui est peint. Sans doute le destin du peintre.

 

Dans une palette homogène de teintes, l’artiste superpose les plans en coupes franches avec des transitions plus douces, en continuité d’alignement ou en proximité, soulignant par ponctuations la structure des fondations qui feront tenir droit ce qui est montré. Il y a dans ces compositions précaires le tremblement d’une absence au milieu des papiers, comme le spectre d’une hantise. Ce qui est peint puise à une machinerie d’impressions et de formes enfouies, répétant en variations la même ritournelle dont il faut préférer l’écoute à la compréhension.

 

Le sens se fait matière quand le papier, durci sous la colle et la peinture révèle l’accident d’une déchirure disputant la ligne droite, quand la puissance matérielle des débris de présent s'arc-boute pour redire et conjurer la discipline des barreaux d’enfermement.

Aux dominations, l’artiste oppose un monde humain qui résiste avec un art des moyens simples, vifs et sonores dans le silence de ces espaces implacables comme ceux frémissant sous le vent qui agite les plaines de bouleaux.

                                                                                                                                   Christian Sozzi. Mars 2023

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